Andreï Makine reçu à l'Académie française

La Coupole sous le charme russe


Elu au fauteuil de la Franco-Algérienne Assia Djebar, l’écrivain Andreï Makine a été reçu à l’Académie française selon un rituel qui date de Richelieu il y a près de quatre siècles. Le 15 décembre, il a rejoint la communauté des 40 immortels. à cette occasion chaque immortel qui remplace un académicien mortel, se pare d’une tenue brodée par les plus grands couturiers, celle de cet académicien sera l’oeuvre de Giorgio Armani. Sur la lame de son épée, oeuvre d’un joailler, l’écrivain franco-russe a fait graver cette formule de Cicéron: «Verba rebus imprimere». (mettre des mots sur les choses)

On se souvient comment Alain Finkielkraut, l’intellectuel qualifié de «clivant» de par ses écrits contre les Maghrébins, les Noirs, avait fait la quête pour son habit vert qui aurait coûté près de 35.000 euros. Il faut y ajouter l’épée qui peut aller jusqu’à 100.000 euros. Tout cela pour des représentations épisodiques. Le paraître et le m’as-tu vu, contrairement à ce que l’on croit, sont une dimension de la nature humaine qui se bonifie avec l’âge…

Qui est Andreï Makine?

Andreï Makine reçu à l’Académie française

C’est avant tout un intellectuel qui a quitté l’URSS en débâcle, il s’est fait lui-même en s’imposant difficilement comme un écrivain de talent en France, non seulement, il maîtrise la langue, mais il l’a bonifiée au point d’avoir été élu à l’Académie française. C’est aussi un intellectuel qui n’a rien perdu de l’âme russe au point de défendre la Russie, même s’il est traité de poutiniste. Il nous rappelle à bien des égards les écrivains mythiques comme Gogol, Pouchkine, Tolstoï, Dostoïevski.

«Les Français admirent les Américains, qui les méprisent, et ils méconnaissent les Russes, qui les admirent.»

Le discours qui fâche le consensus « atlantiste » ambiant

Dans son discours, Andreï Makine n’a pas fait dans la dentelle, il fait un procès en règle des travers du monde sous l’égide de l’Empire et de ses vassaux notamment français. Il a évoqué « le demi-million d’enfants irakiens massacrés, la monstrueuse destruction de la Libye, la catastrophe syrienne, le pilonnage barbare du Yémen. Qui aurait, aujourd’hui, l’impudence de contester le martyre de tant de peuples, musulmans ou non, sacrifiés sur l’autel du nouvel ordre mondial globalitaire? »

Sans ne rien oublier , il remonte loin dans le passé et au milieu de son discours, il est revenu sur la sanglante bataille de la Moskova, la guerre de Crimée, l’Ukraine d’aujourd’hui et Kiev, dénonçant «la guerre fratricide orchestrée, dans cette ville, par les stratèges criminels de l’Otan». Dans le bréviaire des méfaits, on se demande pourquoi il a oublié l’incendie de Moscou par Napoléon…

«Makine n’a jamais mâché ses mots lit on sur la contribution suivante, encore moins sous la Coupole, avec son égale voix de baryton roulant les «r». Toujours aussi combatif, animé d’un esprit de résistance, l’auteur de Cette France qu’on oublie d’aimer a fait l’éloge de l’escadrille Normandie-Niémen et de «ses magnifiques héros français tombés sous le ciel russe en se battant contre les nazis». En outre, il n’a pas manqué de dénoncer le «déferlement des best-sellers anglo-saxons et de l’autofiction névrotique parisienne», d’étriller «la nouvelle caste d’ignorants» qui nous gouverne et de blâmer l’inculture, les diktats idéologiques, les médiocrités divertissantes»

Se rapprochant graduellement de la période dénonçant les méfaits d’un Occident sûr de lui et dominateur il écrit: «Nous avons eu la plaie tchétchène: mais alimentée par l’argent turc, l’argent islamique. Alors que Bush père, lui, chapeautait la CIA: combien de crimes l’agence a-t-elle commis? 250.000 morts pour le Nicaragua. Sans parler de l’Irak, des révolutions arabes… Le monde est extrêmement sauvage! Et les Français installés comme nous dans un café à Saint-Germain-des-Prés disent: «Les choses doivent se passer comme ça.»

Andreï Makine a également regretté que «les grandes puissances» occidentales «jouent avec le feu, en livrant des armes aux intégristes, en les poussant dans la stratégie du chaos, au Moyen-Orient».

«Qui aurait, aujourd’hui, l’impudence de contester le martyre de tant de peuples, musulmans ou non, sacrifiés sur l’autel du nouvel ordre mondial globalitaire?»

A sa façon, Andreï Makine fait l’éloge du secret de la vie à savoir la sobriété en tout:

«Dans son roman, deux de ses personnages iront s’isoler sur une île hostile, battue par les vents, de l’archipel des Chantars. Au jeune garçon qui l’interroge sur ce choix étrange, Pavel répond: «nous y vivions». Aujourd’hui, Andreï Makine comprend de plus en plus le choix de Pavel. «On peut vivre autrement. On peut choisir un mode de vie qui exclut la pollution, la surconsommation, la surexploitation». «L’homme ne devrait pas oublier qu’il n’est qu’un pauvre locataire de la Terre», insiste le romancier qui égratigne une nouvelle fois le mode de vie américain («avoir chacun quatre bagnoles», résume-t-il avec provocation). «Les Américains ne comprennent pas qu’on est sur le même radeau. On détruit la planète. Il faut arrêter cette escalade», dit-il avant de s’interroger: «Est-ce que les gens sont capables de l’entendre?».»

Eloge de la culture française

Andreï Makine évoque ensuite deux illustres souverains russes,dont il en tire fierté, de passage à Paris:

«Il y a trois cents ans déclare-t-il, oui, trois siècles à quelques mois près, au printemps de 1717, un autre Russe se rendit à l’Académie, qui siégeait, à l’époque, au Louvre. Il s’agissait de Pierre le Grand! (…) L’enthousiasme de Pierre le Grand fut si ardent que, visitant la Sorbonne, il s’inclina devant la statue de Richelieu, l’embrassa et prononça ces paroles mémorables que certains esprits sceptiques prétendent apocryphes: «Grand homme, je te donnerais la moitié de mon empire pour apprendre de toi à gouverner l’autre.» La Grande Catherine de Russie sembla avoir bien tranché ce noeud gordien. «Voltaire m’a mise au monde», disait-elle, et cette affirmation ne concernait pas l’usage du français qu’elle pratiquait couramment et que toute l’Europe éclairée parlait à l’époque. Non, il s’agissait avant tout de l’ouverture au monde intellectuel de la France, à ses joutes philosophiques, à la diversité et à la richesse de ses belles-lettres.»

Réponse de l’académicien Dominique Fernandez

L’académicien Dominique Hernandez retrace la carrière de Andreï Makine à travers ses romans et dénonce la position dogmatique de la presse qui croyait là avec la chute de l’URSS, avoir tué l’âme russe: «Gardons-nous écrit-il de vous confondre avec ce qu’une certaine presse occidentale écrivait à la même époque. Les journaux de droite exultaient: le marxisme, le stalinisme n’avaient été que de sanglantes supercheries. On vous l’avait bien dit, que le communisme n’était qu’une mascarade, et ses partisans que des bourreaux cyniques ou des dupes idiotes. Dans votre livre, tout autre est le ton. Vous démythifiez le régime, mais la rage et le désespoir au coeur. La Russie est votre patrie, demeure votre patrie, et l’on sait à quel point, pour un Russe, la terre, la terre russe, prime sur toutes les autres valeurs. Vous souffrez par la Russie, vous souffrez en elle.» (…)»

«Ce feu ardent, vous l’avez défini ainsi, dans Le Testament français: «Un étrange alliage de cruauté, d’attendrissement, d’ivresse, d’anarchie, de joie de vivre invincible, de larmes, d’esclavage consenti, d’entêtement obtus, de finesse inattendue…», pour conclure: «Vivre quotidiennement au bord du gouffre, oui, c’est ça la Russie.»
Dans quel autre pays que la Russie voit-on des gens lire frigorifiés sur le banc d’un square des poètes hermétiques, tels les futuristes, tel le jeune Maïakovski? Faire une heure de trajet dans un métro bondé pour aller écouter le troisième de Rachmaninov ou la sixième de Tchaïkovski? (…) La guerre, que les Russes appellent la Grande Guerre patriotique, on en trouve des échos dans maints de vos livres. (…) Monsieur, qui incarnez si bien votre patrie, cet indicible, ineffable supplément d’humanité qui mérite de s’appeler, d’un vocable dépourvu absolument de mièvrerie, mais chargé au contraire d’une saveur ô combien épicée: le charme russe.»

Plaidoirie d’Andreï Makine pour une entente avec la Russie

La réception du plus russe des écrivains français ou du français des écrivains russes, a été marquée par un plaidoyer en faveur d’un pays qui serait toujours présenté sous un aspect négatif. Il a plaidé en faveur de «l’entente franco-russe» en retraçant les liens historiques, littéraires et spirituels entre les deux nations. À rebours de la position officielle de la France.

«La Russie peut être cruelle, atroce… elle n’est jamais petite», tient à souligner Andreï Makine. L’amour inconditionnel de la Russie transpire dans chacune des pages. Andreï Makine se dit orphelin du général de Gaulle qui n’hésitait pas «à traiter avec Staline» et tenait la dragée haute aux Américains. «L’Europe, dit-il en paraphrasant le général, c’est de l’Atlantique à l’Oural». Aujourd’hui, regrette-t-il, «les provocations» s’accumulent contre la Russie. «Regardez toutes les bases américaines qui entourent la Russie. Ce ne sont pas les Russes qui l’inventent», soutient-il. «En Ukraine on relance les provocations», poursuit-il avant de mettre en cause les Etats-Unis et «les guerres américaines en Syrie, en Libye et en Irak». «Ce que font les Américains est tragique», déplore-t-il. «J’essaie de dire la vérité», se justifie-t-il. «Le politiquement correct est étouffant.».

Revenant sur son parcours il déclare:

«(…) Quoi qu’il en soit déclare t-il, dans le milieu des années 1980, cette Russie était terminée, c’était évident, et celle qui était en train de naître ne me plaisait pas du tout. (…)Mais la Russie d’aujourd’hui c’est devenu trop neuf, trop clinquant. Le grand-père de Gagarine était un serf et son petit-fils a conquis l’espace! Trouvez-moi une autre civilisation qui aurait accompli cela, en si peu de temps (…) La Russie est un trop gros poisson, et la juger sur la base d’une seule écaille, qui brille ou qui casse, n’est pas suffisant – Il y a cet énorme corps – imprévisible, passionnant, baroque, et qui fait le charme de la Russie. Sa tâche [Poutine] est très difficile. Comme le dit mon ami Dominique Fernandez, si l’on prenait notre Premier ministre ou même notre président pour le mettre à la tête de la Russie, il tiendrait une journée au plus. (…) Et la patience des gens en Russie. est incommensurable: on a vaincu grâce à ça: non pas grâce aux armes, non pas grâce à l’intelligence des stratèges, mais grâce à la patience du moujik. (…) Dans le pire des cauchemars de Gorbatchev, personne n’aurait imaginé que les fusées de l’Otan arrivent aux frontières de la Russie.»

Andrei Makine, French Russian writer in 2006.

Andreï Makine n’a rien abdiqué de l’âme russe. Celle qui nous a fait aimé -malgré une propagande diabolisant l’Union Soviétique – des oeuvres admirables comme l’ouvrage et le film admirable ”Guerre et Paix” de Tolstoï et du réalisateur Serguei Bondartchouk, celle film ” Le Docteur Jivago” du prix Nobel de littérature, Boris Pasternack magistralement interprété par Omar Sharif . C’est tout cela l’âme russe, celle du film ” “la ballade du soldat” de Grigori Tchoukhraï dont le récit nous avait touché dans notre jeunesse, nous nous identifions à “Aliocha, un jeune soldat russe qui s’étant distingué sur le front, se voit offrir une décoration. Il refuse toutefois ce grand mérite et, au lieu de cela, demande à obtenir une permission pour rendre visite à sa mère. Son voyage est long et difficile: il doit sauter de train en train, et de nombreux obstacles lui font prendre du retard. Il rencontrera tout au long de son périple diverses personnes, qui l’aideront, ou à qui il apportera son aide. Et puis il fera la rencontre de Choura, jeune fille voyageant dans la même direction que lui. Pendant le trajet, tous deux font connaissance, et tombent amoureux. Mais à peine ont-ils le temps de se le dire, à peine Aliocha serre-t-il sa mère dans ses bras, que déjà il doit repartir au front. Pour ne plus en revenir… » (…)

«Ce que nous avons voulu montrer, Valentin Ezhov et moi écrit le réalisateur Gregori Tchoukhraï, ce n’est pas comment notre héros a fait la guerre, mais quelle sorte d’homme il était, pourquoi il s’est battu. Renonçant aux scènes de bataille (…) nous avons cherché un sujet qui flétrit la guerre. Ce garçon (le jeune soldat Aliocha) pouvait devenir un bon père de famille, un mari affectueux, un ingénieur ou un savant, il pouvait cultiver le blé ou des jardins. La guerre ne l’a pas permis. Il n’est pas revenu. Combien d’autres ne sont pas revenus ! »

Andreï Makine a été intronisé comme le furent nombre d’écrivains d’origine russe qui ont siégé sous la Coupole: de Joseph Kessel à Hélène Carrère d’Encausse, en passant par Henri Troyat et Maurice Druon. Ces auteurs n’ont jamais renié leur origine et ont souvent chanté l’âme russe. Sans verser dans une nostalgie ou une concurrence sur le monopole du coeur, On se prend à rêver de compatriotes élus dans les instances étrangères au vu de leur talent, mais qui n’oublient pas qu’ils ont un pays qui les a vu naître. On prête au grand Mao l’anecdote au plus fort de la guerre froide, il invite deux physiciens chinois qui ont fui la Chine en 1949 et qui ont réussi brillamment aux Etats-Unis au point d’avoir une grande reconnaissance scientifique. A la fin du repas, Mao se lève et porte un toast en l’honneur de ses invités en leur disant avec un sourire: «Soyez de bons Américains, mais n’oubliez pas que vous êtes aussi chinois!» Tout est dit.

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger

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