La prodigieuse genèse d’un monument de la littérature mondiale, trop souvent réduit à son succès populaire, raconte aussi la conversion tourmentée de son auteur, Victor Hugo, à l’idéal de progrès social.
“Partout où l’homme désespère, le livre Les misérables frappe à la porte et dit : ‘Ouvrez-moi, je viens pour vous !'”, écrivait Victor Hugo. Livre somme, roman d’un peuple, œuvre repère universelle, ce monument de la littérature de quelque 1 500 pages, incontournable dans les programmes scolaires, autant adapté sur scène qu’au cinéma, retrace l’épopée rédemptrice du forçat Jean Valjean, devenu porte-voix de tous les damnés de la terre. Vouée aux gémonies à sa parution en 1862 − “un livre immonde et inepte !”, tranchera Baudelaire –, fustigée pour son sentimentalisme, l’œuvre, qui menace l’ordre établi, affole les puissants et donne de l’espoir aux opprimés, en exaltant les barricades : “Parfois, insurrection, c’est résurrection !” Mais sa genèse au long cours (plus de quinze ans de chantier) recouvre aussi la conversion, douloureuse et totale, du conservateur Victor Hugo, pair de France assis sur une gloire précoce, aux idéaux de progrès social. Car l’écrivain député, qui consignait déjà dans Choses vues des scènes de la misère ordinaire, de la maltraitance des femmes et des enfants à la pauvreté des classes laborieuses, doit bientôt s’exiler dans les îles anglo-normandes à la suite du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. Une période de purgatoire où, entre contemplation, peinture et séances de spiritisme, Hugo l’humaniste doute avant d’exhumer, en 1859, son manuscrit inachevé du fond d’une malle pour l’emmener, dans un souffle puissant, jusqu’aux sommets.
Lutter pour grandir
Aux côtés de Jean Valjean, Gavroche et Cosette, ses héros devenus planétaires, ce documentaire retrace dans le même mouvement l’accouchement d’un roman hors norme et la métamorphose politique de son auteur. Ambitionnant d’embrasser le genre humain, Victor Hugo veut d’abord rendre son livre manifeste accessible à tous – quitte à recourir aux accents mélodramatiques –, dans l’espoir que le peuple toujours s’en saisisse pour lutter contre l’injustice et grandir. Jamais démenti, le succès phénoménal de son entreprise littéraire dépassera ses rêves. Formidablement documentée et éclairée par des spécialistes, des écrivains, dont l’académicienne Danièle Sallenave, ou encore par Claude Lelouch, qui a adapté Les misérables, une plongée vertigineuse dans un roman-fleuve qui n’en finit pas d’irriguer le grondement de la révolte, jusqu’au film du même nom réalisé en 2019 par Ladj Ly, et lui aussi plébiscité.