Soixante-dix ans après la parution d’”Un barrage contre le Pacifique”, et alors que le passé colonial de la France suscite toujours des débats houleux, ce documentaire propose une relecture éclairante du chef-d’oeuvre subversif de Marguerite Duras.
En 1950, le prix Goncourt échappe à Marguerite Duras, en lice avec Un barrage contre le Pacifique. Si l’écrivaine décèle dans ce revers la sanction de son engagement communiste, le propos même de ce grand roman, trop subversif et antipatriotique pour l’époque, a certainement suffi à refroidir le jury. Alors que la population française adhère encore massivement aux valeurs du colonialisme, ce récit inspiré de sa jeunesse miséreuse en Indochine, qui fit pour l’auteure office de “psychanalyse”, résonne comme une charge violente contre un système prédateur, pornographe, raciste et brutal. À travers la ruine de sa mère, flouée par l’administration coloniale, qui lui a vendu une concession incultivable, Marguerite Duras dépeint le quotidien dans “la perle de l’empire”, à rebours des discours officiels vantant l’œuvre civilisatrice de la France. Si le livre, inévitablement, charrie les préjugés dans lesquels la romancière a baigné, présentant ainsi les “indigènes” comme une masse indistincte, il n’en montre pas moins l’envers de la carte postale, entre travailleurs réduits à l’esclavage et femmes sexuellement exploitées, “dans ce bordel colossal qu’était la colonie”.
Vampirisme
Ce documentaire propose une plongée saisissante dans l’œuvre de Marguerite Duras. Au fil de lectures d’extraits, d’interviews de la romancière, d’archives inédites de l’Indochine des années 1930 et d’éclairages de spécialistes (la politologue Françoise Vergès et l’anthropologue Ann-Laura Stoler en tête), le documentaire décrypte les rouages du “grand vampirisme colonial” – en particulier, l’appropriation des corps indigènes –, explore les ambiguïtés de Duras face à cette histoire, et interroge les traces laissées par ce passé dans les imaginaires.